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Les pensées de Nicolas H.
15 décembre 2016

25 ans et puceau

Régulièrement, sur des forums de discussion, des jeunes hommes postent des messages pour évoquer leur virginité, qu'ils vivent comme un fardeau. Voici les témoignages de deux d'entre eux. Au téléphone, Antoine (1), 24 ans, a la voix qui tremble et le souffle court. Terminer chaque phrase semble être un calvaire, à tel point qu’on a presque envie de le faire à sa place. Il nous joint à 20h30, après sa journée de travail, car ce qu’il a à nous dire ne peut pas se raconter là-bas, selon lui. Pas besoin de chercher longtemps pour connaître «l’origine de tous ses [mes] maux» : il est encore puceau. Et l’être encore à ce qu’il considère être un âge «avancé» paralyse son existence. Ne pas avoir connu le plaisir charnel est une vraie honte. Comme le serait le dernier de la classe au collège, il se sent moqué, marginalisé et dévalorisé. Quand la moyenne d’âge pour le premier rapport est de 17,2 ans pour les hommes et 17,6 ans pour les femmes, Antoine se sait «en retard». Antoine n’est pas seul dans ce cas. Sur le forum Doctissimo, sorte d’immense pot-pourri des névroses inavouables de tout un chacun, ils sont plusieurs dizaines de vingtenaires à poster des appels à l’aide - uniquement des hommes. Parfois, c’est pour rechercher une personne qui pourrait leur ôter leur virginité, parfois pour se confier. Antoine y poste en juin 2015 un message intitulé : «Puceau 24 ans recherche femme sur Bordeaux» (pour des raisons d’anonymat, la ville a aussi été changée). Il y développe : «Bonjour, je suis un puceau de 24 ans. Oui c’est tard je sais, c’est pour ça que je suis là ! Je recherche une femme de préférence non mariée (je ne veux pas avoir de problème avec le mari !) pour me faire découvrir les plaisirs du sexe que j’aurais dû découvrir bien plus tôt !» Antoine explique : «Lorsque j’ai posté ce message, j’étais désespéré, je ne voyais pas d’autre moyen, je ne sais pas comment faire pour séduire une femme et me dépuceler. Je n’ai jamais embrassé de femme, ni même eu de relation amoureuse.» Un autre utilisateur du forum âgé de 25 ans, que nous appellerons Matthieu, se confie dans deux messages. Le premier s’intitule «J’ai une vie pourrie, besoin d’en parler», le deuxième «Est-ce que je me fais des films ?» Il y décrit ses déboires amoureux et ses idées noires. Ces hommes pensent que leur virginité se voit, qu’elle est inscrite sur leur front… Tout en n’en parlant à personne, paralysés par la pression sociale. Ils pensent que leurs amis se moqueraient, que leur famille ne pourrait pas comprendre. Doctissimo devient alors le réceptacle idéal de leurs témoignages anonymes, et ils s’y sentent un peu moins seuls. Quitte à transformer le forum en une réunion de puceaux «tardifs» anonymes. Matthieu y couche ses mots «pour donner du courage aux personnes qui sont un peu dans mon cas, et pour ne pas me sentir seul». A 25 ans, pour eux, c’est certain, ils ne trouveront jamais le plaisir charnel en n’ayant à leur tableau de chasse qu’un seul baiser avec une fille. Ils se considèrent comme des parias ; leur problème a créé chez eux un manque de confiance abyssal. Tous deux se décrivent comme «moche», et «sans intérêt». «Je ne suis pas très beau, petit et mince. Je n’ai pas beaucoup de références intellectuelles non plus. Je ne vois pas comment je pourrais intéresser une femme», décrit Antoine. Matthieu a, lui, traversé une dépression sévère. En 2015, il a vécu ce qu’il considère être un burn-out : «J’ai complètement pété un câble, je ne supportais plus d’être seul, l’idée que je terminerai ma vie seul». Au manque de confiance viennent s’ajouter les idées suicidaires. Il finira par être interné en hôpital psychiatrique et suivi par un psychologue. «Aujourd’hui, ça va un peu mieux. Parfois je n’y pense pas, mais parfois, c’est une obsession. De vivre une relation sentimentale.» Pour Jacques Waynberg, sexologue, les jeunes comme Antoine et Matthieu vont d’abord sur ce genre de forums avant de consulter. Parce qu’il est plus simple de témoigner de façon anonyme de leur secret. Parce qu’ils ont besoin de parler de leur mal-être aussi, mais n’osent pas franchir la porte d’un professionnel, par honte. Si ce problème est relativement courant, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent ces jeunes à considérer la virginité comme un problème à un âge encore jeune. Interpellé sur la question, Jacques Waynberg tempère d’emblée, et invite ces jeunes à «se calmer». L’idée que chaque jeune doit perdre sa virginité à 17 ans crée des souffrances parfois démesurées. «Où est la norme ? Où est le curseur ? Elles ont été fluctuantes selon les périodes. Mais aujourd’hui, le mot-clé de ces personnes est "victime". Elles sont victimes d’un système qui génère une perte de confiance. Parce qu’on n’a rien à raconter aux copains.» Pour lui, être puceau à 25 ans ne signifie pas forcément être en retard : «Pourquoi considérer la virginité comme anormale ? Pour moi, je considère qu’il n’en est rien jusqu’à 30 ans. A 25 ans, on a encore ses dents de lait. Nous sommes dans une période postmoderne, avec une totale ambiguïté quant à la définition de la liberté sexuelle. La liberté sexuelle serait de pouvoir coucher comme on veut, de choisir sa sexualité !» Jacques Waynberg décrit deux types de personnes : les «vierges» qui n’ont pas connu le plaisir charnel mais se masturbent, et les «vierges puceaux», qui eux, ne se masturbent jamais. Les premiers, comme Antoine et Matthieu, n’ont, selon lui, pas de réelle inquiétude à avoir. Tous les deux consomment régulièrement de la pornographie et trouvent du plaisir relatif à se satisfaire eux-mêmes. Le spécialiste explique : «Les vierges puceaux portent sans doute des traces d’une très grande souffrance psychologique. Mais si ce n’est pas le cas : on se calme.»

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